Petit bonhomme de chemin

Jour 70

Le 09/09/11, 1:28

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Ce matin, je me remets en route pour visiter les écoles d’espagnol et cette fois, fatigue ou pas, je me retrousse les manches. Je sens bien que je n’ai pas encore récupéré ton mon sommeil de retard mais mes rendez-vous se passent plutôt bien.

Je travaille principalement dans le quartier de San Blas. Au détour d’une rue, je tombe sur une manifestation d’un genre un peu particulier : des dizaines d’écoliers arpentent la rue pancarte à la main en scandant des slogans en faveur de la protection de l’environnement. Je trouve l’initiative assez drôle. Les petits sont adorables et mettent tout leur cœur à la tâche. Il est vrai que, si le réchauffement climatique doit être une préoccupation pour tous, le Pérou est une des zones les plus vulnérables à cette menace. Le pays est frappé de plein fouet par El Niño, un nouveau phénomène climatique qui apporte de fortes pluies et des inondations, mais aussi de longues périodes de sécheresse en fonction de la région. Dans les montagnes, le changement climatique se traduit par un net recul des glaciers qui engendre la diminution rapide des réserves d’eau et de terribles vagues de froid. La couche d’ozone se dégrade. Pas besoin d’être un génie pour s’en rendre compte. Ici, le soleil ne chauffe pas, il brûle.

J’ai rendez-vous pour prendre un café en fin d’après-midi avec Manuel, un Liméen de passage à Cusco avec qui je converse régulièrement sur un forum de voyage. Nous décidons d’un commun accord d’éviter les bars touristiques de la Plaza de Armas pour un petit restaurant de la Plaza San Francisco. Manuel ne roule pas sur l’or et moi non plus. Même si je n’ai vraiment pas à me plaindre de ma situation, je ne peux pas comme les touristes faire la tournée des grands ducs tous les soirs et dois surveiller quelque peu mon budget. C’est ainsi que Manuel me donne quelques combines pour faire des économies ici. Il m’explique, par exemple, qu’il voyage presque toujours en camion de marchandise, ce qui lui permet d’économiser la moitié d’un billet de bus. Nous discutons de choses et d’autres. Il est très intéressé par mon projet et me raconte que, pour sa part, il a travaillé pendant quelques mois pour une ONG américaine. Cette association faisait de l’assistanat pur et simple. Dégouté et persuadé qu’ainsi il faisait plus de mal que de bien, Il avait fini par claquer la porte. Ce n’est qu’après une bonne heure que Manuel m’avoue enfin que, depuis environ six ans, il vit près de 4 mois par an en France. A la lueur de cette confession, je me rends compte qu’en effet, depuis le début de notre conversation je n’ai pas trop ressenti de choc culturel. Nous parlons un peu de sa vie là-bas et il me donne sa théorie sur « la Grande Nation ». S’il reconnait devoir beaucoup à ce pays où, contrairement au Pérou, il peut vivre de sa musique et a un véritable statut d’artiste, il dit ne pas pouvoir se faire à la mentalité de là-bas. Pour lui, le plus gros problème de la société française, ce sont... les Françaises. Il ne comprend pas leur agressivité, leur ambition, leur permanente insatisfaction.

Manuel me raccompagne jusqu’à la Plaza de Armas. En chemin, il me fait remarquer une dame qui, en sortant de l’église de la Merced, porte directement la main au portefeuille pour donner de l’argent à un mendiant. « Elle est en train d’acheter son billet pour le paradis » me dit-il ironiquement. Personnellement, je ne donne jamais rien aux mendiants, par principe. Je pense que donner encourage ce genre de pratique. Mais en la matière, il est toujours difficile de savoir comment bien faire. Je me suis souvent demandé si mon attitude était la bonne, surtout lorsque je vois de nombreux Péruviens ne pas hésiter à donner quelques pièces aux quémandeurs. Mais Manuel, lui, est sur la même longueur d’onde que moi.

J’arrive vers 19hoo à la bibliothèque Pukllasunchis où, tous les vendredis, dans le cadre du ciné-club, un film d’auteur est projeté. Au programme ce soir, un documentaire du réalisateur liméen Javier Corcuera, « Invierno en Bagdad ». L’œuvre tente de présenter les effets de l’occupation américaine en Irak à travers le regard des habitants de Bagdad, dont de nombreux enfants. Les témoignages sont durs et poignants. A la fin de la séance, un débat est lancé mais je suis incapable d’y prendre part, le film m’a laissé sans mots.

Après une telle claque, je dois reprendre un peu mes esprits. Heureusement, j’ai quelques minutes avant mon dernier rendez-vous de la soirée. Lucho, le jeune homme d’Arequipa qui était présent à la dernière réunion du Couch Surfing, m’a recontactée pour m’inviter à dîner. Je ne suis pas certaine que l’invitation soit innocente mais il est plutôt sympa. Laissons-lui le bénéfice de doute... Je suis cependant un peu mal à l’aise lorsqu’il me propose d’aller à la Ciciolina, qui n’est rien de moins qu’un des meilleurs restaurants de la ville. Je tente de remettre les pendules à l’heure en lui faisant comprendre que mes intentions ne sont qu’amicales et lui propose d’aller prendre un café à la place. Quand je comprends, un peu plus tard dans la soirée, que de toute façon, ce n’est pas lui mais sa boite qui paie, je regrette un peu ce changement de programme. Tant pis, au moins, ma conscience est tranquille. Nous allons au Jack’s Café où nous discutons de tout et de rien, notamment de politique (OK, ça ce n’est pas rien). A travers les propos de Lucho, je me rends compte à quel point le peuple péruvien a une mauvaise opinion de son gouvernement. Aux yeux de Lucho, les gouvernants sont tous des bons à rien corrompus. Selon lui, si l’on veut faire avancer les choses ici, il faut obligatoirement se tourner vers le secteur privé. Cette vision des choses est un peu difficile à admettre pour moi qui vois l’Etat comme un défenseur du bien commun face aux intérêts commerciaux privés. Mais si ma conception de la politique peut déjà paraitre un peu naïve en Europe, au Pérou, c’est carrément une chimère.

Nous terminons la soirée dans un bar branché à la décoration surréaliste, le Fallen Angel. J’adore les tables-aquariums faites d’une vieille baignoire surmontée d’une simple vitre. Je passe une bonne soirée en compagnie de Lucho. S’il est clair qu’il a une petite idée derrière la tête, il n’a rien à voir avec un brichero. Il n’est pas trop insistant et il est plutôt drôle. Après un dernier verre, je rentre très sagement chez moi pour les douze coups de minuit.

[ Voir les photos : Pérou - Cusco ]

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